Gosselin c. Québec (Procureur général)

L’affaire Gosselin c. Québec traite d’une limite d’âge arbitraire qui plaçait un groupe de citoyennes et de citoyens dans une situation de dénuement. Dans les années 1980, le gouvernement du Québec a décidé de réduire les prestations d’aide sociale des moins de trente ans à 170 dollars par mois. Il s’agissait là d’environ le tiers de la somme nécessaire pour satisfaire aux coûts de base de la nourriture et du logement.

La Cour suprême du Canada a souscrit à l’argument  voulant que les jeunes pouvaient être traités différemment puisque leurs circonstances étaient différentes.

Le Tribunal des femmes du Canada (TFC) juge que la politique d’aide sociale du Québec violait le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne. Les privations causées par le taux d’aide sociale réduit ont mis en péril la santé physique et mentale de Louise Gosselin tout autant que sa sécurité personnelle.

Le TFC trouve que la distinction entre les bénéficiaires de l’aide sociale âgés de moins de trente ans et ceux âgés de plus de trente ans était davantage reliée à des stéréotypes négatifs relatifs aux personnes admissibles à l’aide sociale âgées de moins de trente ans qu’à des circonstances ou des besoins spécifiques à ces dernières.

Sommaire

Le Tribunal des Femmes du Canada réexamine la décision de 2002 de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Gosselin c. Québec (Procureur général), en vertu de laquelle la Cour a jugé que l’alinéa 29a) du Règlement sur l’aide sociale qui a réduit la prestation d’aide sociale des bénéficiaires de moins de trente ans en dec¸ à du niveau de subsistance ne violait pas les article 7 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés ni l’article 45 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec. Selon le Tribunal des Femmes du Canada, le Règlement crée une distinction illicite fondée sur l’âge; de plus, l’âge combiné à la condition sociale constitue un motif analogue aux fins de l’article 15 de la Charte canadienne. Refuser aux moins de trente ans la somme d’aide sociale réputée nécessaire par le gouvernement lui-même pour subvenir aux besoins essentiels révèle que le régime est fondé sur des présomptions stéréotypées en vertu desquelles ce groupe de prestataires est négligent, sans motivation et peu disposé à travailler à moins d’y être contraint. Il y a également atteinte à l’article 15 puisque le gouvernement a soutiré à une partie de la population des prestations nécessaires à la dignité et à l’égalité. Le taux réduit met en péril le droit à une nourriture, un logement et un vêtement suffisants en plus du droit à la sécurité de la personne; dans certains cas, il peut forcer des femmes à se prostituer et à avoir des relations sexuelles pour survivre et il rend les femmes plus vulnérables à la violence et un harcélement. Ce sont là des atteintes supplémentaires à la dignité humaine, contraires à l’article 15.

Le Tribunal des Femmes du Canada juge que le Règlement viole également l’article 7 de la Charte canadienne. Des droits économiques dont le non-respect menace gravement l’intégrité physique et psychologique ne devraient pas être exclus de la protection de la Charte. Au contraire, il faut interpréter l’article 7 de manière à protéger contre les atteintes à la vie et à la sécurité de la personne provoquées par l’extrême pauvreté et de manière à créer une obligation positive pour le gouvernement d’adopter un régime d’aide sociale adéquat. Le Règlement viole les droits à la vie et à la sécurité de la personne et n’est pas conforme aux principes de justice fondamentale. C’est un principe fondamental de la justice canadienne que nos lois ne doivent pas permettre ni favoriser des circonstances qui privent des personnes des nécessités de la vie. Le caractère arbitraire et la portée excessive de la législation porte également atteinte aux principes de justice fondamentale. L’argument en vertu duquel il n’est nul besoin de procéder à l’analyse en vertu de l’article premier lorsqu’il y a violation de l’article 7 est persuasif, mais le Règlement ne peut se justifier peu importe.

Le Règlement viole également l’article 45 de la Charte québécoise. En s’inspirant des normes internationales, l’article 45 crée une obligation positive pour le législateur d’assurer les moyens de subsistance. Le gouvernement avait déjà fixé la somme d’aide financière nécessaire pour assurer un niveau de vie acceptable au sens de l’article 45. Choisir de diminuer le barème pour les prestataires de moins de trente ans loin en dec¸ à de la somme minimale fixée constitue une violation manifeste de la disposition.

Le Tribunal des Femmes juge que l’alinéa 29a) du Règlement était inopérant pendant les années 1985 à 1989 en vertu de l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982. Le Tribunal accorde des dommages-intérêts en vertu du para. 24(1) de la Charte. De plus, le Tribunal ordonne à la fois la cessation de l’atteinte ainsi que la réparation du préjudice moral et matériel aux termes de l’article 49 de la Charte québécoise.

L'arrêt